“L’ENGRENAGE VA ENCORE NOUS TORDRE,
LE CAPITAL EST TRIOMPHANT...”
Ce titre est extrait d’un couplet de L’Internationale. Écrit en 1871, ce couplet n’a pas été retenu dans la version définitive et officielle, arrêtée en 1887... comme s’il avait été mis en réserve pour caractériser la France de 2007.
L’engrenage va encore nous tordre ?
Les non-nantis, c’est-à-dire la majeure partie des habitants de la France, vont encore et encore subir les contraintes d’une politique qui prétend favoriser la consommation tout en diminuant le pouvoir d’achat. Futurs retraités, ils vont devoir retarder la date de leur départ à la retraite pour percevoir une pension diminuée. Malades, les franchises médicales et pharmaceutiques les aideront à mieux combattre leur mal. Salariés du public, ils vont devoir faire plus en étant moins nombreux. Salariés du privé, ils vont enfin pouvoir réaliser leur vœu : travailler le dimanche. Petits délinquants, ils bénéficieront de peines plancher et non de peines plafond comme les délinquants de la finance. SDF, ils jouiront de promesses. Sans-papiers, il leur sera offert des charters plus nombreux et plus rapidement accessibles grâce à l’accélération des procédures. Immigrés en attente de regroupement familial, ils auront droit à des tests ADN et... de vocabulaire, afin de préserver l’identité nationale que, parmi les “innombrables” immigrés et descendants d’immigrés que nous sommes, seul un descendant d’immigré hongrois est apte à définir.
Le capital est triomphant ?
Dès le soir du 6 mai, le ton est donné : le nouveau président, comme n’importe quel parvenu, proclame son choix de classe en invitant au Fouquet’s quelques-unes des fortunes de France. Choix qu’il n’a cessé de réaffirmer depuis, de yacht en avion Bolloré, ses autres amis ayant nom Dassault, Bouygues, Lagardère et consorts, ses soutiens Parizot et Seillières; tous ayant, entre autres points communs, le même vocabulaire : "privilège de l'emploi", "sureffectifs", "liberté des entreprises”, “liberté de l'enseignement", "carcan du code du travail", “lourdeur du service public”. Au nom de l’équité, (c’est-à-dire en niant l’égalité), ce héraut des 270 000 bénéficiaires d’une retraite supérieure à 10 000 euro mensuels a réussi à persuader des millions de retraités (dont les pensions varient entre 600 et 2000 euro mensuels) qu’ils se porteront enfin mieux lorsqu’un demi-million de retraités des régimes spéciaux (aux pensions identiques) seront privés d’un départ anticipé.
En même temps, comme n’importe quel parvenu, c’est Eurodisney qu’il choisit pour affirmer sa conception de la culture et suggérer (avec quelle élégance !) le bon fonctionnement de sa zigounette. Les parvenus sont gens qui pensent qu’être vulgaire rend populaire, fait “peuple” : s’adressant aux marins-pêcheurs de Guilvinec, qui l’avaient accueilli en criant “140%!”, Monsieur le Président de la République Française leur tint ce discours (non préparé par Guaino): "Si te...si tu crois queuuh...si tu crois que c’est en insultant que tu vas....que tu vas régler le problème des pêcheurs, eh bien permets-moi de te dire ...per ...meu ...tu ...qu’tu ...vin ...tsé ...ben, viens, viens, viens qu’on discute!". Et la réponse fut : "Bah, si j’descends, j’te mets un coup de boule, alors vaut mieux pas ".
“De quoi Sarkozy est-il le nom ?”
demande clairement, et par antiphrase, Alain Badiou. Outre sa conception de la culture et de l’élégance, Sarkozy est l’émetteur d’une pensée “pipole”, accessible à tous, le prêt à penser de “l’homo sarkozyensis”. L’homosexualité ? Une tare, et d’origine génétique! L’Afrique? Un continent malade de ses ethnies! Les racines de la France ? Chrétiennes, nom d’un chanoine divorcé! La politique demain? La civilisation, crédieu! La Princesse de Clèves ? Que ceux qui l’aiment se la paient!
Le charisme apparent de notre nouveau président n’est que le produit d’une mode -cinémato-graphique, mais étendue à la communication -, que Peter Watkins appelle la monoforme : “Un espace fragmenté, des rythmes répétitifs, une caméra en mouvement perpétuel, un montage rapide et saccadé, un bombardement de sons denses et agressifs, et un manque de silences ou d’espaces de réflexion.” Un espace, des rythmes, exactement contraires à ce que propose L’Improbable, espace et moments de réflexion.
Parce que les fidèles du nouveau président le proclament l’élu du peuple (53% des votants, soit 45% des inscrits), ils veulent que son autorité soit infaillible, à l’image du pape ou d’un patron sans syndicat dans son entreprise. En témoigne le refus de référendum sur le Traité européen : ce qui eût été qualifié, à juste titre pour une fois, de forfaiture anti-démocratique en “Chavézie”, est un acte démocratique en “Sarkozie”! (1) Nouvelle, et grave, défaite de la démocratie en France. C’est pourtant après l’une des plus terribles défaites du mouvement ouvrier et de libération sociale que L’Internationale fut écrite. Suivirent d’autres défaites, mais aussi des victoires qui, toutes - faut-il le rappeler ?-, furent improbables, à commencer par la première de l’histoire contemporaine, celle de 1789.
L’Improbable
(1) En Sarkozie, les 54,5% de Français qui ont voté contre le TCE sont moins nombreux que les 53% qui ont fait le président
Source: L'improbable, l'édito du numéro 63